Le Journal de Montréal pour Vanessa
02 avril 2023, journaldemontreal.com
Cette boxeuse québécoise a perdu 130 livres avant de retourner sur le ring
Le 6 janvier 2020. Il faisait moins 11. Vanessa Lepage-Joanisse s’est levée un peu cireuse. Il faisait encore sombre. Elle a jeté un bref regard dans le miroir et a vite détourné les yeux.
Mais cette fois, elle a hésité une seconde et a osé revenir devant le miroir. Elle a vu la graisse qui débordait. Elle s’est agrippé le ventre à pleines mains et est restée figée: «C’est comme si je m’étais réveillée. Je me suis dit: C’est pas moi ça, c’est pas Vanessa», se rappelle-t-elle.
Mais elle était réveillée. Sa dépression venait de finir. Le lendemain, elle s’est présentée dans un tout petit gym dont elle connaissait le propriétaire, à quatre heures du matin: «Je voulais être certaine que personne ne me verrait. J’avais trop honte. Je ne pouvais pas courir à cause du surplus de poids, mais je marchais sur le tapis roulant avec une légère inclinaison. Et en même temps, je changeais mon alimentation. Protéines et légumes. Plus le régime intermittent que je pratique toujours. Au début, je faisais 16 heures de jeûne et huit heures pour manger. Maintenant, je fais 18-6. Je mange à midi et j’arrête à 18 heures. Jeûne pendant le reste de la journée», raconte la jeune boxeuse de 27 ans.
CHAMPIONNE CANADIENNE
Vanessa Lepage-Joanisse est une miraculée de la vie. Quand l’arbitre Steve St-Germain a levé son bras, jeudi le 23 mars dernier au Casino de Montréal, c’est toute sa vie qui a défilé dans sa tête: «C’était incroyable. Ma carrière, mes blessures, ma dépression, j’ai tout revu. Et je me sentais tellement heureuse. C’est difficile à expliquer», dit-elle.
Pendant ces années d’apprentissage dans l'univers de la boxe amateur, Vanessa faisait des études pour devenir éducatrice de la petite enfance.
Elle a gagné deux années de suite le titre de championne canadienne et aurait décroché une troisième médaille si elle n’avait pas choisi de devenir boxeuse professionnelle.
COMMOTION AU MEXIQUE
Je passe vite. Il y a eu des victoires, sa rencontre avec Stéphane Joanisse, qui n’a aucun lien de parenté avec Vanessa et son père et qui deviendra son coach de boxe.
Elle tripait à fond et forte de trois victoires, elle a obtenu un combat de championnat du monde chez les poids lourds. Les boxeuses de 178 livres et plus sont rares sur la planète et les bonnes athlètes gravissent rapidement les échelons.
«Je me suis retrouvée à Cancun au Mexique le 12 août 2017. Je n’ai jamais oublié la date. Contre Alejandra Jimenez, qui a été suspendue pour usage de stéroïdes trois ans plus tard. Je ne peux affirmer qu’elle était dopée, mais jamais je n’ai été frappée aussi durement de ma vie. L’arbitre a arrêté le combat au troisième round, et j’étais sans défense dans les câbles», raconte-t-elle.
Pendant des mois et des mois, de retour à Saint-André, elle était hypersensible à la douleur: «Je voulais revenir rapidement. J’avais le goût de la boxe. Je voulais m’entraîner, mais je faisais un peu de sparring avec des enfants et chaque petit coup me faisait mal. Je ne le savais pas, mais j’avais subi une grosse commotion cérébrale au Mexique. Je me le cachais et surtout, je tentais de le cacher aux autres. J’espérais guérir», dit-elle.
ET LE TERRIBLE ACCIDENT
Je vous épargne les histoires d’amour qui s’étiolent, les maux de tête et le reste.
En mai ou juin, Vanessa est dans sa voiture, immobilisée en attendant que le conducteur devant elle tourne à gauche: «Le char qui s’en venait ne m’a jamais vue. J’ai subi un double coup de fouet. La tête a revolé deux fois. Les conséquences ont été épouvantables. Je n’avais plus de force et plus de sensibilité du côté droit. J’ai fait de la physiothérapie pendant huit mois. Mais je n’étais plus capable de tenir quelque chose avec ma main droite. Je ne pouvais plus m’entraîner. Plus rien», dit-elle.
Vanessa s’est enfermée dans son petit appartement. Plus de chum. Plus de boxe. Plus d’entraînement. Elle ne le savait pas encore, mais elle plongeait dans une dépression noire.
«J’ai vraiment mangé mes émotions. Je mangeais comme avant, quand je m’entraînais deux fois par jour. Mais je ne bougeais plus. Je ne sortais pas. Je mangeais toutes sortes de cochonneries. J’étais seule. Quand on est dans cet état, on perd toute motivation. Le moindre effort devient une montagne.
«Puis, comme je le racontais, le 6 janvier 2020, j’ai monté sur la balance.»
UNE NOUVELLE VIE
Donc, les premiers entraînements, à 315 livres, avaient lieu à quatre heures du matin. Dans un petit gym. Par honte d’être vue.
Puis, son coloc, un travailleur de la construction, l’a convaincue de venir avec lui au grand gym. Mais c’était encore à quatre heures du matin, puisqu’il s’entraînait avant de se rendre sur les chantiers de construction.
Mais Vanessa se reconstruisait. Au fur et à mesure que les livres de graisse fondaient et que les muscles de boxeuse revenaient.
À un moment donné, elle a eu le courage d’appeler Stéphane Joanisse, son premier coach. Elle voulait reprendre la boxe. Il lui a dit: «Viens-t’en ma grande.»
Mais on était en pleine pandémie. Et Joanisse était maintenant coach au club de Buckingham avec le père d’Alexandre Gaumont.
Vous n’avez pas oublié les folies du docteur Arruda. Quand Gaumont se battait, il fallait que Vanessa cesse de fréquenter le gym. À cause du confinement et de la quarantaine exigée par les politiciens. Au troisième report, elle était décidée à tout abandonner. Surtout qu’elle avait rencontré le gars qu’elle espérait, Jeff Dufour, et un job à Mont-Laurier au CPE Les vers à choux.
Mais la passion pour la boxe était trop forte.
MONT-LAURIER-BUCKINGHAM
Fait que Vanessa n’a pas lâché. Son entraîneur lui fait parvenir ses programmes d’entraînement à la maison. Elle les suit religieusement. Au moins une fois par semaine, des fois deux, elle roule de Mont-Laurier à Buckingham pour le sparring et les entraînements plus spécifiques.
Et sa victoire la plus importante, elle l’a remportée quand elle a enlevé son chandail pour monter sur la balance.
Le lendemain, elle a nettement dominé Princess Hairston au Casino et fait lever la foule avec son style agressif.
Elle est heureuse, son chum aussi, elle est belle au bout du zoom, et les petits vers à choux sont contents.
Et puis, c’est une boxeuse poids lourd. Et comme les boxeuses poids lourd sont rarissimes sur la planète boxe, elle a été vivement classée 4e mondiale par BoxRec.
Ça veut dire un ou deux combats de plus et Vanessa aura droit à un combat pour un titre mondial. WBC, IBF ou WBA, peu importe.
La boxe féminine, c’est aussi ça.
Article du Journal de Montréal
https://www.journaldemontreal.com/2023/04/02/cette-boxeuse-quebecoise-a-perdu-130-livres-avant-de-retourner-sur-le-ring?fbclid=IwAR1KiPzORd8NAesOH7DP1D3nuazyee3Pe3V3OlTqRreZ71ZSi6C12S2CAqY